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Sentinelles971

Le blog d'information des Médecins Généralistes de Guadeloupe

2021 janvier: Revue bibliographique du Dr BOUCAUD MAITRE

Dr Denis BOUCAUD MAITRE : Méthodologiste, et Praticien Hospitalier, à la Direction de la Recherche Clinique et de l’Innovation (DRCI) du CHU de Guadeloupe, partage avec nous sa Revue bibliographique de janvier 2021, toujours interressante!

1. Celui dont on ne doit pas prononcer le nom
Il y a tellement d’articles intéressants sur la COVID en ce moment sur l’épidémiologie, les variants ou les traitements qu’il est difficile d’en sélectionner quelques-uns.

1.a. Le temps long du COVID (Lancet)
Une étude chinoise a étudié le devenir de 1733 patients atteints de la COVID (âge moyen : 57 ans). Six mois plus tard, 76% des patients déclaraient encore au moins un symptôme : fatigue ou faiblesse musculaire (63%), insomnies (26%), chutes de cheveux (22%), douleur thoracique (9%), dépression ou anxiété (23%). Et plus de 50% des patients présentaient des anomalies résiduelles à l’imagerie thoracique.

https://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(20)30566-3/fulltext

1.b. Pays de Galles (British Journal of Dermatology, Chest, EclinicalMedicine)
Au niveau traitement, il est beaucoup question de l’ivermectine sur les réseaux sociaux, qui est normalement efficace contre la gale et la filariose. L’ivermectine aurait une activité antivirale in vitro, particulièrement contre la COVID, en tout cas sur des cellules de rein de singe (ce n’est pas le meilleur modèle soi-dit en passant).
Une étude française observationnelle a notamment été publiée dans le BJD, qui a comparé un EHPAD où le personnel et les personnes âgées ont été traités par de l’ivermectine en mars dernier suite à un cas de gale, versus 45 autres EHPAD appareillés. Jusqu’en mai, seul un cas de COVID a été déclaré dans l’EHPAD sous ivermectine, et aucune hospitalisation ou décès COVID.Dans les autres EHPAD, 22,6% des résidents ont eu le COVID et la mortalité était de 4,9%.
Une autre étude observationnelle américaine retrouvait aussi des résultats intéressants sur la mortalité intra-hospitalière chez les patients traités par ivermectine (OR 0,52, IC95% : 0,29-0,96).
Ces résultats sont à prendre avec précaution, hydroxychloroquine oblige, puisqu’une étude randomisée en double-aveugle, de faible effectif certes (24 patients) mais méthodologiquement solide, n’a retrouvé aucune différence sur la charge virale à 7 jours de patients COVID entre l’ivermectine et le placebo.

https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0012369220348984?via%3Dihub

https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/bjd.19821

https://www.thelancet.com/journals/eclinm/article/PIIS2589-5370(20)30464-8/fulltext

1.c. Bonheur enfantin, trop vite oublié (Eurosurveillance, Nature)
Contrairement aux anglais qui ont fermé leurs écoles peut-être jusqu’à Pâques, les autorités françaises n’envisagent la fermeture des écoles qu’en dernier recours. Une étude norvégienne menée sur la période août-novembre 2020 dans les villes d’Oslo et de Vicken a analysé les résultats du contact tracing (avec test COVID systématique) lorsqu’un cas de COVID était déclaré chez un enfant. La transmission enfant-enfant n’était que de 0,9%, et la transmission enfant-adulte de 1,7%.
Néanmoins, la situation serait moins claire avec le variant anglais qui se transmettrait peut-être autant chez les enfants que chez les adultes (cf article Nature).

https://www.eurosurveillance.org/content/10.2807/1560-7917.ES.2020.26.1.2002011

https://www.nature.com/articles/d41586-021-00139-3

2. Vivre après 40 ans de diabète (Diabetic medicine)
Un peu d’optimisme avec une belle étude française sur la qualité de vie des patients atteints de diabète de type 1 depuis plus de 40 ans.
Au total, 808 diabétiques de type 1, diagnostiqués depuis 49 ans en moyenne, ont été interrogés. Les hommes avaient en moyenne 1,8 enfants, les femmes 1,4 enfants. Plus de la moitié travaillait ou ont travaillé, 38% avaient eu un diplôme universitaire.
Les diabétiques avaient aussi une vie sociale bien remplie (plus que la mienne actuellement), puisque lorsque l’étude a été réalisée, ils sortaient pour 59%, mangeaient au restaurant pour 82%, faisaient du sport pour 38% et voyageaient pour 66%.
A diffuser à ceux qui doivent annoncer le difficile diagnostic de diabète d’enfants et adolescents.

https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/dme.14460

3. Les promesses de l’ombre (Lancet)
Le Lancet a publié le cas clinique d’empoisonnement au Novitchok de l’opposant russe Alexeï Navalny. Le Novitchok est un neurotoxique organophosphoré très puissant, qui se fixe aux cholinestérases. L’accumulation d’acétylcholine provoque une réponse exagérée des récepteurs cholinergiques avec syndromes muscarinique (bradycardie, hypotension, hypercrinie, diarrhée, vomissement, bronchoconstriction, myosis), nicotinique (fasciculation, paralysie musculaire) et central (trouble de la vigilance, convulsion, coma). L’antidote est l’atropine, plus éventuellement la pralidoxime.
Ce qui est assez curieux dans le cas de l’opposant russe, c’est qu’il ait survécu au poison malgré une administration tardive d’atropine. Le Novitchok est pourtant le neurotoxique réputé le plus puissant, qui serait 5 à 10 fois plus toxique que l’agent VX (une version plus moderne du sarin inventé par les services secrets de sa Majesté), capable de tuer rapidement un bonhomme par simple contact cutané. Soit la dose utilisée était donc trop faible, soit le Novitchok ne serait pas aussi létal que ça. C’est la raison pour laquelle le kamarade Poutine considère qu’il n’a pas pu être empoisonné par ses services spéciaux : « Si on l’avait voulu, l’affaire aurait été menée à son terme. ». Da.
Pourquoi parler du Novitchok ? Parce qu’il circulerait encore en Guadeloupe des boites d’aldicarbe, un rodonticide utilisé dans les cultures bananières, interdit depuis 2004, sous le nom de TEMIK ou de TRES PASITOS (importé de République Dominicaine). Il y a de moins en moins de cas mais cela peut encore arriver qu’il y ait des intoxications sévères volontaires ou involontaires (environ 5 cas par an en Guadeloupe jusqu’en 2016), voir des homicides. Il s’agit d’un carbamate qui inhibe aussi les cholinestérases, comme les organophosphorés. L’intoxication par carbamates se présente le plus souvent sous une forme muscarinique pure, le syndrome nicotinique est plus rare qu’avec les organophosphorés. L’antidote est donc aussi l’atropine, alors que la pralidoxime n’est pas utile : l’inhibition enzymatique des cholinestérases par les carbamates est réversible spontanément en quelques heures.

https://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(20)32644-1/fulltext

4. Dis-nous quel âge… as-tu… (BMJ)
Dans le BMJ de Noël, une étude américaine a voulu savoir si les patients nécessitant une intervention chirurgicale avaient une mortalité supérieure lorsque le chirurgien opérait le jour de son anniversaire, comparativement aux autres jours de l’année. Effectivement, la mortalité à 30 jours était supérieure (6,9% versus 5,6%, p=0,03) si le chirurgien souffle ses bougies le jour de l’opération… Aujourd’hui j’ai…

https://www.bmj.com/content/371/bmj.m4381

5. Digression personnelle (BMJ, European Journal of Clinical Pharmacology)
Le BMJ a sorti une étude de Harvard qui montre que sur la période 2006-2016, les médicaments autorisés plus rapidement (via des procédures accélérées) par la FDA et l’EMA (European Medicine Agency) ont finalement rarement eu une plus-value scientifique par la suite.
L’article est intéressant, sauf que deux chercheurs avaient sorti exactement le même article 3 ans plus tôt. Même titre, même objectif, même méthode, mêmes données…. Il y a bien sûr quelques ajouts, mais les résultats sont parfaitement superposables (cf sensibilité et spécificité). Il y a aussi plein de statistiques pour faire sérieux, mais elles n’ont épistémologiquement aucun sens, puisque le hasard n’a pas grand-chose à voir avec des décisions politiques d’accélérer des procédures d’autorisation. De l’art du petit p donc…
Le recopiage est tellement grossier que les américains se sont bien gardés de citer l’article précédent et de comparer leurs résultats, ce qui correspond pourtant aux règles élémentaires de publication scientifique. Alors, plagiat ou “scientific misconduct”? La définition du plagiat est la suivante : “Taking over the ideas, methods, or written words of another, without acknowledgment and with the intention that they be taken as the work of the deceiver. » American Association of University Professors (September/October,1989)»… Cela y ressemble étrangement, puisqu’il n’y a pas un seul autre article sur ce sujet dans Pubmed.
Dans le fond, tout ceci n’est pas bien grave, tous les scientifiques copient, il suffit de corriger une thèse d’interne en médecine. Néanmoins, il y a «copier» et «copier»… comme il y a le bon et le mauvais chasseur. Et dans le cas présent, celui qui s’est bien fait avoir par les Américains, bah c’est moi.
L’histoire aurait pu s’arrêter là, sauf que j’ai écrit au BMJ pour leur faire part de mes doléances. Les anglais étant des gentlemans (bien qu’il faut jamais leur faire confiance), ils ont demandé aux américains de réécrire leur article en citant mon travail et en expliquant en quoi leurs résultats apportent une plus-value scientifique, ce qu’ils vont avoir bien du mal à faire. J’attends donc l’article corrigé…
CHUG 1 Harvard 0.

https://link.springer.com/article/10.1007/s00228-016-2104-3

https://www.bmj.com/content/371/bmj.m3434