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Sentinelles971

Le blog d'information des Médecins Généralistes de Guadeloupe

Compte rendu de l’EPU Chikungunya.

L’EPU du 20/03/2014, organisée par l’ARS, c’est divisée en 3 parties:
1ERE PARTIE: MEDICALE, présentée par le Pr HOEN du service de maladies infectieuses du CHU, avec:
a) Rappel des 3 phases de la maladie (forme typique non compliquée) et de la prévalence des signes cliniques
• phase aigue, fébrile, qui dure environ 5 jours, avec des arthralgies (signe constant)  +/- associé à des oedèmes +/- un rash morbiliforme.

chik artic
dengue versus chik

phase de convalescence: apyrétique, avec une asthénie, des arthralgies persistantes +/- une éruption papulo-maculause +/- prurit notamment des paumes et palmes.
phase chronique (30 à 60% des cas), avec des arthrites récidivantes, et comme facteurs de risque identifiés: un age > 45 ans, des arthrites intenses à la phase aigue, des ATCD rhumato.

b) Le diagnostic est avant tout clinique, et dès que vous aurez vu une dizaine de cas vous les reconnaitrez à leur démarche (de la gêne à la marche, type boiterie, jusqu’au besoin d’être soutenu par les accompagnants pour se déplacer).
Le diagnostic biologique est à réserver aux formes atypiques ou doute diagnostic (notamment avec dengue, leptospirose, primoinfection VIH…polyarthrites…)
Par ailleurs la biologie montre en général une lymphopénie (inférieure à 1000, en moyenne 850), une absence de thrombopénie, et une CRP aux environs de 50.
Le score clinico-biologique ci-dessous a été proposé (il n’est cependant pas encore validé).

score chik
c) La prise en charge est principalement ambulatoire.
Les critères d’hospitalisation ne sont pas spécifiques (imposibilité au maintien à domicile, déshydratation, AEG, forme grave… décompensation d’une co-mobidité, complication iatrogène, nourrisson fébrile <3 mois, syndrome hyper-algique non gérable à domicile notamment pour les enfants…) sauf dans le cas de la femme enceinte proche du terme.
En effet s’il y a une situation à risque c’est la transmission du virus à l’enfant au cours de l’accouchement (50% des cas, avec 50% de formes graves parmi lesquelles 50% gardent des séquelles notamment neurologiques).
Thérapeutique:
• en aigu: hydratation et paracétamol (aux posologies adaptées au poids).
En 2ème intention antalgiques de palier 2 voire 3 (en respectant les AMM: tramadol >3 ans, et codeine >12 ans). AINS et aspirine sont contre-indiqués.
• en post-aigu: antalgiques de palier 1, 2, voire 3.
AINS en 2ème intention en cures courtes, voire corticoides.
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2EME PARTIE: EPIDEMIOLOGIQUE présentée par le Dr Sylvie CASSADOU, médecin épidémiologiste à la Cire Antilles-Guyane.
courbe chikAvec un essai de projection à l’echelle de la Guadeloupe, de ce que pourrait être l’épidémie chez nous en s’appuyant sur la courbe épidemiologique de l’épidémie de la Réunion, avec:
– une 1ère période de avril à décembre 2005, avec entre 100 et 350 cas/semaine
– une 2ème période «explosive», avec passage en 1 mois de 400 à 10 000 cas/semaine, puis 15 jours apres le pic de 47 000 cas/semaine !!! et ensuite une décroissance sur 6 mois.
A la Réunion, on estime que l’épidémie 2005-2006, a touché 33% de la population, soit 266 000 personnes, avec 250 cas graves, 44 cas de transmission materno-néonatale et un « excès » de 250 décès sur la période.
Pour le moment en Guadeloupe, on recense entre 150 et 200 cas/semaine. L’épidémie de dengue prend fin, et la saison sèche commence. On espère une ascension lente du nombre de cas, mais les choses risquent de changer avec l’été et la conjonction pluie + chaleur… comme cela a été le cas à la Réunion (où hémisphère Sud oblige, l’été est en décembre).
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3EME PARTIE: « GESTION DE LA CRISE à venir», présentée par le Dr Patrick SAINT MARTIN, pharmacien, et Directeur du pôle de Veille Sanitaire à l’ARS.
Pour extrapoler à la Guadeloupe (400 000 habitants), l’épidemie pourrait concerner 132 000 personnes, avec dans le cas d’un pic de même ampleur, un pic de 23 000 cas/semaine !!!
Le chikungunya étant une pathologie qui necessite rarement l’hospitalisation (250 cas graves à la Réunion), la prise en charge sera essentiellement ambulatoire.
L’ARS estime que les 340 médecins généralistes en activité de Guadeloupe, atteindront leurs « limites d’absorption » du phénomène vers 1000 cas/semaine.
L’ARS réfléchi donc à l’organisation de dispositifs faisant appel par exemple aux:
– professionnels de santé de la réserve sanitaire, gérée par l’EPRUS (Etablissement de Préparation et de Réponse aux Urgences Sanitaires) qui existe depuis 2007, suite justement à la crise sanitaire provoquée par l’épidémie à la Réunion.
– infirmiers de ville, en utilisant les moyens de télémédecine et e-prescription (en cours de discussion avec l’Ordre)
– médecins retraités
– médecins salariés (PMI, scolaires, travail…)
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Premier diagnostic de CHIK!

… une nouvelle expérience clinique que je partage avec vous… 🙂

Dans le contexte actuel de co-circulation de virus (dengue, chikungunya, et aussi grippe qui commence…), mon « appréhension » était de ne pas faire la différence avec une dengue… mais c’est un cas presque « comme dans les livres » qui est venu à moi…
Finalement de la même manière que
– devant un syndrome dengue-like (asthénie, courbatures, fièvre), l’association avec un coryza et/ou une toux; va faire penser grippe avant dengue,
– devant un syndrome dengue like avec une éruption papulo-maculeuse (à la différence de l’érythème diffus de la dengue), et prurigineuse (qui m’a d’abord fait penser à une allergie), et des arthralgies des extrémités; va faire penser chikungunya avant dengue.

Je reviens sur la description de « mon presque cas d’école »:
– Jeune femme de 20 ans, enceinte de 7 semaines.
– Elle vient pour éruption prurigineuse (particulièrement au niveau des paumes de mains) depuis hier.
Elle est habillée d’une robe longue qui dégage les bras et à ce stade je pense allergie, et l’interroge le repas précédent le début de l’éruption (pommes de terre, steak haché, lardons, et une pomme pelée) et ses prises médicamenteuses (paracétamol pour fièvre il y a quelques jours), pas d’allergies antérieures connues.

A l’EXAMEN :
pas de fièvre (d’où mon presque comme dans les livres), sans antipyrétique ce jour.
– ORL: ras, notamment pas d’œdème de la luette (je suis toujours sur mon idée allergie)
– cardio-pulmonaire: ras
– ni signes urinaires, ni signes digestifs
– cutané: éruption maculo-papuleuse, prurigineuse qui concerne surtout les 4 membres, confluente au niveau des mains et pieds (laissant moins d’espaces de peau saine entre les maculo-papules).
Les mains sont donc rouges, chaudes, avec un œdème symétrique.
Elle me décrit alors des arthralgies, avec raideur, et en fait… en début de semaine elle était clouée au lit avec de la fièvre et des douleurs articulaires des petites articulations et une sensibilité des plantes de pieds…

Et là… je crois que c’est la localisation paumes et plantes qui a fait « tilt »… je commence à me dire: CHIK!!!???
Après une dernière petite question je suis convaincue: elle habite dans la commune connue comme principal foyer actuel de Chikungunya en Guadeloupe!
Dans mon petit cerveau en effervescence… je commence à penser qu’elle est enceinte… et que j’ai survolé le chapitre « femme enceinte » de la « fiche synthétique à l’attention des médecins » de l’ARS Martinique et Guadeloupe… et qu’il va justement falloir que je les appelle… et qu’on est samedi 11h…

Et me voilà donc à lui:
Annoncer qu’elle très probablement le Chikungunya…
Expliquer dans son cas (après relecture du chapitre « femme enceinte » de la fiche ARS) la prise en charge:
• confirmer biologiquement le diagnostic
• éliminer les diagnostics différentiels, à la recherche des étiologies potentiellement graves, à adapter au contexte clinique : (listeria, pyélonéphrite, mais aussi infections à CMV, à Parvovirus B19, toxoplasmose, rubéole, dengue avec thrombocytose…) 

– prescrire la prise de sang, expliquer où aller un samedi à 11h… puis me communiquer le nom du laboratoire.
– expliquer qu’il va falloir qu’elle reste chez elle, et qu’elle fasse tout pour ne pas se faire piquer par les moustiques, et éviter ainsi de le donner à son entourage…
– faire un mot pour l’école
prescrire un traitement symptomatique compatible avec la grossesse (après consultation éventuelle du site du CRAT), avec rappel du respect des posologies (paracétamol)
– Conseiller une bonne hydratation
– Conseiller d’appeler (si état stable) ou reconsulter à 48h pour réévaluation (si aggravation ou nouvel élément)
– Expliquer que je vais joindre l’ARS pour signaler son cas et qu’il y aura une enquête de voisinage…
– Récupérer les adresses et numéros de téléphone où joindre la patiente.

J’appelle donc l’ARS devant elle, et tombe sur un administratif d’astreinte qui prend mes coordonnées et me dit que le médecin d’astreinte va me rappeler… ce qu’il fait rapidement. Je lui décrit le tableau clinique, il prend les coordonnées de la patiente, me répète les conseils à prodiguer, et m’envoie par mail la fiche de signalement à remplir, que je devrais lui renvoyer…

Enfin avant que ma sympathique patiente se rhabille elle avait accepté que ma consœur dans le bureau à coté vienne voir son éruption (c’est mon coté maître de stage :-))

Au total la consultation m’aura bien pris un bon 40 minutes , plus l’impression/remplissage/et renvoi de la fiche de signalement ARS à la fin de la matinée…

Cependant comme souvent devant un cas « intéressant » (pour le médecin, pas toujours pour le patient…), on a la satisfaction d’avoir fait son travail…
La démarche médicale fait appel aux connaissances théoriques, et à l’analyse clinique du patient dans « la vraie vie ».
demarche

A posteriori, aboutir au « bon » diagnostic semble facile, devant ce tableau clinique presque typiqueSAUF QUE la fièvre est absente lors de l’examen, et que l’hypothèse retenue n’a rien à voir avec ma 1ère idée (allergie devant un éruption prurigineuse)!

Les hypothèses diagnostiques retenues (la médecine restant une science probabiliste) sont le produit synthétique de la démarche diagnostique:
– interrogatoire
– recueil séméïologique, et reconstitution de l’histoire de la maladie
– examen 
– analyse clinique de la situation en fonction des connaissances et recommandations.

Vient ensuite la démarche décisionnelle, fonction du contexte (gravité, environnement médical, familial, social…), avec souvent une négociation/adaptation aux conditions et à la situation, pour aboutir à une orientation, des examens complémentaires, une proposition thérapeutique…

Ce cas clinique est donc un bon exemple de la valeur d’un interrogatoire, de la reconstitution de l’histoire de la maladie (en fait J4 d’un syndrome viral), de l’examen clinique (localisation des arthralgies, type d’éruption et localisation), et de l’intérêt du maintien et de l’approfondissement des connaissances (et pour cela je vous conseille le Dossier spécial Chikungunya, Point sur les connaissances et la conduite à tenir, INVS, 2008)
Tout cela fait de la médecine générale une discipline passionnante, que l’on a envie de partager (ce que je fais justement :-)) et de transmettre (encore mon coté maître de stage).

Actualisation des recommandations de prise en charge de la DENGUE.

Nous avions annoncé dans notre article Point sur les recommandations de prise en charge de la dengue (décembre 2012) de nouvelles recommandations issues du RETEX dengue… Elles sont parues dans le BVS de septembre et sont bienvenues pour cette épidémie, et les suivantes…

Ce RETEX avait réunit en novembre 2011, des épidémiologistes, biologistes, infectiologues, pédiatres, urgentistes … de Guadeloupe, Martinique et Guyane.
J’y représentais les médecins sentinelles.
Le  Bulletin de Veille Sanitaire N° 6-7 : Enseignement des épidémies de dengue de 2010 pour la prise en charge et la surveillance. résume en 4 chapitres les conclusions des différents ateliers.

L’un des objectifs des cliniciens était de formuler de nouvelles « recommandations d’orientation et de prise en charge des patients (adultes et enfants) suspects de dengue » notamment destinées aux médecins de ville, et qui répondent notamment aux questions: «quel bilan biologique? pour qui? et quand?»

Le 1er chapitre est donc celui qui intéresse le plus le praticien, c’est la partie CLINIQUE: signes et symptômes de la dengue (description des 3 phases) et conduite à tenir en période épidémique (arbre décisionnel, conseils aux patients notamment sur l’hydratation et la gestion des antalgiques/antipyrétiques, repérage des signes de gravité, et des patients à risque).

arbre CAt dengue

Le 2ème chapitre est DIAGNOSTIQUE: actualisation de la stratégie diagnostique (techniques biologiques) et des définitions de cas.

Le 3ème chapitre est EPIDEMIOLOGIQUE: bilan de la surveillance des cas hospitalisés au cours des épidémies de dengue survenues en Guadeloupe et en Martinique en 2009-2010 (analyse descriptive et comparative des caractéristiques de l’épidémie dans les 2 iles) et recommandations (uniformisation des pratiques)

Le 4ème chapitre regroupe ces 3 dimensions: Décès attribués à la dengue : une harmonisation (entre les 3 DFA) de leur caractérisation.