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Sentinelles971

Le blog d'information des Médecins Généralistes de Guadeloupe

« L’affaire » des données de santé publique.

Copie de la tribune de Jean de Kervasdoué, professeur au CNAM, et Didier Sicard, président d’honneur du Comité consultatif national d’éthique, paru le 15/01/2013 en ligne sur le site de LE MONDE, et intitulé:

« PLUS GRAVE QUE LE DEBAT SUR LA PILULE, L’AFFAIRE DES DONN2ES DE SANTE PUBLIQUE » 

Si l’affaire du Mediator a, à juste titre, ému l’opinion, ce scandale aurait pu ne pas avoir lieu. Il eût été aussi possible de montrer en temps voulu que les pilules de troisième génération étaient trop souvent proposées.
Il y a plus grave : chaque jour, en France, beaucoup d’autres médicaments sont prescrits alors qu’ils ne devraient pas l’être. Des examens médicaux risqués sont réalisés alors qu’existent des substituts efficaces qui n’ont pas les mêmes effets secondaires et qui sont, de surcroît, moins onéreux.
Examens médicaux et prescriptions médicamenteuses utiles, voire indispensables dans certains cas cliniques précis, nuisent parfois sans raison médicale, tandis que certains de nos concitoyens ne reçoivent pas les soins dont ils seraient en droit de bénéficier.

DES MANQUEMENTS À L’ÉTHIQUE
Si d’un point de vue moral ou juridique, il n’y a pas de « petites » ou de « grandes » affaires, mais des manquements à l’éthique ou au droit, les spécialistes de santé publique se situent sur un autre plan : ils ne recherchent pas de coupables, mais s’efforcent de quantifier l’importance du problème et de trouver des solutions.
Qu’il s’agisse de médicaments et d’actes diagnostiques et thérapeutiques, il y a à la fois sous-prescriptions, sur-prescriptions et prescriptions inadaptées parce qu’il est matériellement impossible aux médecins de suivre toute l’actualité scientifique.
Parce que certains actes rémunérateurs pour le praticien ou l’établissement hospitalier continuent d’être remboursés, alors que leur justification clinique a disparu ; parce que l’assurance-maladie non seulement n’exploite pas ou peu les données qu’elle possède mais aussi et surtout rend difficile aux chercheurs d’y avoir accès et l’interdit à tous les autres acteurs, même quand l’autorise la Commission nationale de l’informatique et des libertés !
Une seule base de données est en pratique accessible, celle qui livre des informations sur tous les séjours hospitaliers de tous les Français une année donnée, mais elle est tenue par l’Etat, pas par l’assurance-maladie.
Cette dernière, sous des prétextes fallacieux, empêche de documenter les considérables gâchis et les scandaleuses inégalités de santé. Selon l’endroit où ils sont soignés, selon leur médecin, les Français recevront ou ne recevront pas les soins appropriés à leur état clinique, compte tenu du savoir médical.

14 MILLIONS D’ORDONNANCES AYANT AU MOINS DIX MÉDICAMENTS
Il ne suffit pas en effet de s’intéresser à l’efficacité d’un médicament avant sa mise sur le marché et de regarder à la loupe les éventuels conflits d’intérêts des experts et puis d’être indifférent à la manière dont il est utilisé, qui demeure l’essentiel.
Ce n’est pas parce qu’un médicament est efficace qu’il est toujours prescrit à bon escient. Ce n’est pas parce qu’un instrument de musique est juste que chaque musicien sait en tirer le bénéfice.
Pourtant, c’est ce qui se passe en France dans le monde médical. En effet, quand un médicament est prescrit, il est pratiquement toujours délivré, que la prescription soit ou non appropriée.
Par exemple, les pharmaciens français délivrent chaque année 14 millions d’ordonnances ayant au moins dix médicaments, qui sont à l’origine de plus de 3,6 millions d’interactions possibles entre eux ; beaucoup d’admissions en urgence sont dues à cette surconsommation.
Il a été montré qu’il n’y avait aucun lien entre la fréquence des maladies cardiaques, d’une part et le nombre ou le revenu des cardiologues, de l’autre, que les dépenses en cardiologie par département variaient par habitant de 1 à 9 (900 %), que selon l’hôpital où se présentait un infarctus du myocarde, le malade était opéré ou non.
Dans le domaine des actes de dépistage, l’assurance-maladie rembourse toujours des coloscopies à plus de 600 euros (600 à 1 200 euros) alors qu’en première intention, il est possible de réaliser une coloscopie virtuelle à moins de 100 euros.
Enfin, un médicament anticancéreux est toujours prescrit, alors qu’il vient d’être démontré aux Etats-Unis qu’il était inefficace. Ce ne sont que quelques exemples, faute de pouvoir analyser systématiquement les données de l’assurance-maladie.

POURQUOI DISSIMULE-T-ON LE RÉEL ?
Pourquoi préfère-t-on l’ignorance ? Pourquoi dissimule-t-on le réel ? Pourquoi prétend-on l’impossible, à savoir que pour soigner leurs malades en vertu des connaissances du moment – une obligation déontologique, mais toute de principe -, les médecins français lisent tous les 36 000 articles médicaux publiés chaque mois dans les revues médicales ? A quel imaginaire collectif cette non-communication des données de l’assurance-maladie correspond-elle?
Pourquoi préfère-t-on rechercher des coupables que de trouver des solutions en autorisant l’accès aux données que garde et exploite si peu l’assurance-maladie? Pourquoi se place-t-on sur le plan des principes et non pas celui de l’analyse empirique?
Comment peut-on prétendre encore que la liberté de prescription peut ne pas s’accompagner de mécanismes de contrôle a posteriori alors que c’est le cas non seulement au Royaume-Uni, mais aussi aux Etats-Unis ?
Vraisemblablement parce que les médecins français n’ont pas la culture de santé publique, les associations de malades et les élus préfèrent placer leur discours sur le terrain politique.
Ils se retrouvent entre eux, débattent de principes, d’égalité de droit et se méfient du réel, se moquent des inégalités de fait et oublient la personne qui erre avant de recevoir un diagnostic mais qui, en attendant l’IRM introuvable, est inondée d’examens.
Tout ceci est scandaleux car les dépenses dites « de santé » croissent plus vite que les recettes et le déficit charge les épaules des générations futures. Si la France consacrait la même part de sa richesse nationale à la santé que le Japon, les dépenses de santé baisseraient d’environ 65 milliards d’euros !
Mais chacun préfère l’ignorance au savoir, sous prétexte que le savoir pourrait nuire ou servir tel ou tel intérêt économique par essence condamnable. L’Etat et l’assurance-maladie seraient-ils incapables de négocier sur de solides bases ? Ce mélange d’obscurantisme, de suffisance, d’impuissance et de laxisme est devenu insupportable. Il doit cesser.

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